
Texte un peu plus long que d’habitude. Mais parfois, il faut du temps pour penser autrement.
Apprendre à séparer, quand il faudrait apprendre à relier
Et si on arrêtait d’apprendre en silo ?
On nous apprend à suivre un programme, à mémoriser des livres, puis à les restituer.
Les matières sont soigneusement rangées dans des cases, comme s’il était dangereux de les mélanger. Dangereux comme une réaction chimique imprévisible — on craint l’explosion, alors on sépare tout. On avance par discipline, par niveau, par étapes très linéaires. On devient “bon en maths”, “moyen en histoire”, “pas très littéraire”.
Comme si ces compartiments étaient étanches, et qu’il valait mieux qu’ils le restent.
Mais la réalité ne fonctionne pas ainsi.
Dans la vraie vie, il faut mobiliser de multiples compétences pour réaliser un projet — et souvent, on ne les a pas toutes. Alors on engage des personnes, puis des personnes pour gérer ces personnes, puis d’autres pour gérer les gestionnaires. Les termes “overhead”, “silos”, “processus transversaux”… ça vous parle ?
Parfois, on fait appel à des experts. Parce qu’ils savent. Parce qu’ils maîtrisent une compétence apparemment indispensable à l’aboutissement du projet. Mais là aussi, les silos persistent.
Il y a une tension sourde entre cette école des compartiments et le monde, une fois l’école terminée. Une tension que beaucoup ressentent sans vraiment pouvoir la nommer. On ne sait pas — parce qu’on ne nous a pas appris à savoir autrement.
À 20 ans, on a soif d’apprendre.
À 30, on commence à comprendre que nos études de base ne suffisent pas.
À 40, on réalise qu’on ne saura jamais tout.
Et à 50… on comprend qu’il n’est peut-être plus temps de tout apprendre.
Mais qu’il reste peut-être encore un espace pour apprendre autrement.
Alors on reprend une formation. On fait un bachelor, un ou plusieurs masters, des CAS, un doctorat, un MBA. On peut. Ça prend du temps, ça coûte cher. On en sort avec un titre, parfois même avec quelques certitudes. Mais aussi avec des connaissances qui, souvent, n’ont jamais été mises à l’épreuve. Et cette question silencieuse, au fond : qu’en faire, maintenant ?
Faire son premier projet à 5 ans
Et si l’apprentissage ne commençait pas par apprendre à écrire, mais par apprendre à porter un projet ?
Un projet réel, choisi, porté par ce qui nous anime réellement.
On pourrait imaginer un enfant de maternelle qui veut construire une cabane. Pour cela, il devra dessiner, compter le nombre d’éléments, collaborer avec ses camarades et présenter sa cabane devant la classe. Il n’apprendra pas la géométrie, l’écriture ou l’expression orale “à part”. Il les découvrira parce qu’il en a besoin, dans un but bien précis. Pour quelque chose d’utile et de concret.
Vous me rétorquerez : comment peut-il apprendre à écrire en faisant une cabane ? Eh bien, il lui faudra bien un nom — ou peut-être une enseigne à sa cabane. C’est là qu’intervient la véritable utilité de l’écriture. Les règles de grammaire et l’orthographe ? Mieux vaut savoir écrire correctement son enseigne pour rester crédible.
Ceci n’est qu’un exemple pour illustrer une autre approche. Ce que le système classique présente comme des disciplines isolées devient ici une suite logique de connaissances et de compétences — et surtout, des choses appliquées avec une finalité. Une règle de grammaire n’a aucune finalité en soi, tout comme savoir faire une division, des intégrales ou des dérivées.
Ce n’est pas un rejet des fondamentaux. C’est une autre voie d’accès : dirigée par une finalité, par une motivation, une vraie envie — et non un devoir. Apprendre par projet, ce n’est pas faire des activités périphériques. C’est une manière de faire émerger la nécessité du savoir. On ne surajoute pas de la connaissance : on apprend ce qui est nécessaire, parce qu’on en a besoin.
C’est un autre mindset.
Je savais être bon à l’école. Premier de la classe, quand cela avait du sens. Mais je pouvais devenir très con aussi, lorsqu’il n’y avait aucune finalité à une matière — ou, du moins, aucun lien direct. J’ai toujours aimé le concret. Et pourtant, à l’adolescence, j’aimais aussi la psychologie et la philosophie.
À l’école obligatoire, je suis passé par toutes les branches : la scientifique, la technique, l’économique… Et j’aurais encore changé maintes fois si j’avais pu. Par curiosité. Et surtout parce que, sans finalité, j’aurais voulu tout savoir.
Mais l’école n’était pas de cet avis. Comme tout le monde, on m’a mis dans une case.
J’ai donc mis plus d’énergie dans mes projets personnels — et juste le minimum pour maintenir la moyenne. Ni un dixième de plus si possible, car j’estimais cela comme une perte d’énergie et de temps.
À la base, je voulais devenir mécanicien sur voiture de rallye. Mais par concours de circonstances, j’ai bifurqué — et j’ai terminé en apprentissage de polymécanicien.
Et finalement, c’est la seule école qui a fait du sens pour moi. Parce qu’après chaque effort derrière mon tour ou ma CNC, j’obtenais quelque chose de concret : une pièce mécanique avec une vraie utilité. J’étais bon, parce qu’il y avait relativement peu de superflu. C’est aussi à cette époque que j’ai décidé d’écrire correctement, parce qu’un rapport de stage mal présenté, tant sur la forme que sur le fond, n’était pas concevable.
J’aurais voulu faire ingénieur du son. À 13 ans, je bidouillais déjà du matériel, passionné de musique et de technique. J’y ai passé des nuits, des mois, des années à me former, à expérimenter. Mais on m’avait découragé : peu de débouchés, salaires faibles, filière risquée. Alors j’ai appris seul — et, sans m’en rendre compte, j’ai fini par en acquérir toutes les compétences.
Je me suis ensuite réorienté vers une école d’ingénieur, parce qu’il paraissait que les ingénieurs gagnaient mieux leur vie — et parce que mon père voulait que je sois ingénieur. Dans le fond, je n’en savais rien. Mais je savais aussi que je n’allais pas passer ma vie à faire du tournage et du fraisage.
J’ai donc passé quelques années à apprendre des maths abstraites, à faire des expériences de physique dont je ne sais toujours pas à quoi elles me serviront dans la vie.
Mais c’était rigolo.
Les deux seules choses qui m’ont réellement intéressé pendant cette période : la programmation informatique — que je pratiquais déjà avant la fin de l’école obligatoire, au point d’en savoir parfois plus que le cours — et la musique : j’ai calculé des signaux musicaux, programmé des logiciels pour faire et traiter du son.
Et un jour, j’avais un diplôme d’ingénieur. Super. Il m’aura au moins permis de négocier un meilleur salaire — dans un domaine qui n’avait absolument rien à voir avec celui que j’avais étudié. J’ai été ingénieur en recherche et développement et chef de projet, dans un tout autre secteur.
Ensuite, j’ai arrêté l’école. Et je n’avais plus envie d’entendre parler d’école. Je n’en ai toujours pas envie aujourd’hui.
Et pourtant, cela ne m’a pas empêché d’apprendre — et surtout, d’appliquer en profondeur des matières comme la gestion de projet, la business analyse, la stratégie, le marketing, la communication, la finance, le leadership, le management, le juridique.
Pas en les étudiant pour le principe, mais en les activant, projet après projet, jusqu’à ce qu’elles deviennent des réflexes — des outils qui s’enclenchent naturellement quand la situation le demande, comme la facilitation, devenue avec le temps une seconde nature.
Donnez-moi mon école
Apprendre, ce n’est pas accumuler. C’est relier, choisir, projeter.
Si je devais refaire ce parcours, referais-je les mêmes choix ? Non. Clairement non. Mes choix auraient été meilleurs ? Peut-être. Peut-être pas.
Ce que j’en tire, c’est qu’on ne devient pas plus compétent en ajoutant des cases, mais en abordant les choses depuis un autre angle. L’angle du concret. Du pratique. Du pragmatique. Celui qui limite le gaspillage de temps, d’énergie et de sens. Celui de l’utilité. De la finalité. Et donc, de l’efficacité.
Apprendre, ce n’est pas accumuler. C’est relier. Faire émerger des motivations. Des passions qui mènent à l’action.
Projet vient du latin proicere — “jeter en avant”. Et peut-être que l’école de demain, ce sera celle qui nous apprend à lancer. Pas à répéter.
— Brèches & Structures
Un terrain de tension, d’architecture et de liberté.
#ApprentissageParProjet #InnovationPédagogique #CompétencesTransversales #TransformationDeLEducation #BrèchesEtStructures
Suivez l'actualité
Retrouvez toute l’actualité de nos activités.